François Perin ou le triomphe de la lucidité
Entre
François Perin et Voltaire, il y a plus d’un trait commun.
Une analyse de Jules Gheude (1)
François
Perin et moi avons entretenu des relations suivies durant plus de trente ans.
Quand je discutais avec lui, j’avais l’impression de me trouver face à
Voltaire, dont il partageait d’ailleurs le profil acéré et l’humour caustique.
Le verbo-moteur, comme il se qualifiait lui-même, était passionné par les origines et les fins
dernières, en quête d’équilibre spirituel.
Cet
aspect le moins connu de sa personnalité, il nous le décrivit dans son dernier
livre « Franc-parler », paru en 1996.
François
Perin plaide ici en faveur d’un nouvel humanisme, dégagé des corsets du
christianisme et du rationalisme. On découvre aussi que le franc-maçon athée
qu’il était, éprouvait une véritable
fascination pour la vie monastique, pour les grands mystiques et les divinités
païennes de l’Antiquité gréco-romaine. Superbe passage que celui où il imagine
comment nous aurions pu évoluer sila
civilisation antique avait survécu :
(…) quelle évolution heureuse, sans crise déchirante de conscience, et aussi
sans la platitude vulgaire dans laquelle un monde déchristianisé sombre
aujourd’hui faute de sagesse de rechange.
François
Perin nous explique comment sa personnalité s’est forgée autour de la trinité
« Bouddha, Epicure et les dieux ». Pour lui, l’humanité court à sa
perte si elle ne retrouve pas un nouvel art de vivre, si elle ne se libère pas
des dogmes mortifères. Il y a notamment cette phrase qui rappelle les propos du
pape François au sujet des lapins :
« Dieu a dit Moïse : croissez et multipliez-vous ». On pourrait
lui répondre : « Seigneur, c’est fait ! ».
Ce
que nous vivons de façon tragique aujourd’hui, François Perin l’attribue au
piège des mots, dans lequel se sont laissé prendre les religions monothéistes. « Chacun, écrit-il, prétend être la seule à saisir l’absolu,
alors que son discours, parce qu’il revêt nécessairement un langage humain,
varie avec les époques. L’absolu est inexprimable. Si Dieu existe, il
devrait défendre formellement qu’on parlât en son nom, car tout langage n’a
qu’une valeur contingente et relative. Toute parole qu’on lui prête
l’enfermerait dans une prison mortelle et le nouveau verbe se pétrifierait en
une idole de granit pour, à nouveau, terroriser et lapider les hommes.
François
Perin a longtemps recherché cette phrase que l’on attribue à André Malraux :
Le XXIe siècle sera spirituel ou ne sera
pas. La citation exacte, il l’a trouvée dans un article paru dans
« L’Express », le 21 mai 1955 : Je pense que la tâche du prochain siècle, en face de la plus terrible
menace qu’ait connue l’humanité, va être d’y réintégrer les dieux.
Voilà
comment Edmond Blattchen, ancien étudiant de François Perin, eut l’idée de
l’émission télévisée « Noms de dieux », dont le générique reprend
d’ailleurs la phrase de Malraux.
Pour
François Perin, l’humanité n’assurera sa
survie que par la maîtrise d’elle-même en équilibre avec son milieu. Elle
devrait redécouvrir les méthodes de la
sagesse méditative, qui permettent d’échapper à l’illusoire ego.
François
Perin nous explique que lorsqu’il est devenu ministre de la Réforme des Institutions
en 1974, l’opposition socialiste flamande avait misé sut son tempérament
bouillant pour le faire sortir de ses gonds au Parlement. Jos Van den Eynde
était particulièrement habile à ce jeu. François Perin demanda alors à un
huissier de lui apporter un verre d’eau, qu’il se mit à fixer en pratiquant une
technique de respiration, apprise lors d’un stage à l’abbaye d’Orval. Jos Van
Eynde en fut déstabilisé, au point de demander au Premier ministre s’il avait
administré un somnifère à l’intéressé…
Ecologiste,
François Perin le fut bien avant l’heure. Dans une interview à « La Libre
Belgique », le 28 décembre 1974, il déclare : Je commence à éprouver pour l’automobile, qui me paraît être le symbole
de la stupidité de la civilisation occidentale industrielle avec son
égocentrisme et son gaspillage aveugle, une répulsion presque haineuse. Si je
pouvais venir en bicyclette rue de la Loi, je le ferais ! Ah si on pouvait
tuer la voiture ! Cela ressemble, je le sais, à des rêves bucoliques, mais
si les Occidentaux ne retrouvent pas un mode contemplatif des vivre, une
certaine manière de joie de vivre venant de l’intérieur, nous sommes fichus…
Lucide,
François Perin le fut également à propos de l’avenir de la Belgique. Dès 1962,
dans son livre « La Belgique au défi », il saisit que la Flandre est
devenue un Etat dans l’Etat et que
l’avenir de la Belgique est bel et bien compromis : (…) l’éclatement du pays pourrait se solder par des institutions
centrales très simples : des délégués des gouvernements wallon, flamand et
bruxellois se concertent d’une manière régulière au sein d’un conseil fédéral
et passent des conventions entre Etats pour la gestion d’intérêts communs (…)
Les trois parties gardent la plénitude leur souveraineté : seules des
conventions entre voisins régleraient les problèmes auxquels ils seraient
inévitablement confrontés. C’est une formule de confédération centrifuge.
Aujourd’hui,
le mot « confédéralisme » n’est-il pas sur toutes lèvres ?
Dans
un article paru dans « La Meuse », le 21 avril 1981, il imagine le malheureux chef de l’Etat se mettant à
courir après un gouvernement introuvable. Et d’annoncer, 23 ans avant le
docu-fiction « Bye-bye Belgium » de la RTBF, l’implosion du pays : Qu’est-ce
qui empêcherait les Flamands de proclamer unilatéralement leur indépendance et
d’affirmer leur nation ? Ils ont créé tous les instruments de leur future
légitimité.
Clairvoyant,
François Perin l’est toujours à 90 ans, lorsqu’il accorde au « Soir »
sa dernière interview : D’étape en
étape, le mouvement flamand a gagné sur toute la ligne. Il a gagné de devenir
une « nation », avec un esprit collectif qui, de fil en aiguille,
deviendra une « conscience nationale ». Bart De Wever est dans la
ligne et, logiquement, il dit : Nous voulons un Etat flamand indépendant. »
Et vous aurez noté que, pour expliquer ça, il va d’abord à Londres. Chez
Cameron. Il connaît l’histoire, De Wever ! L’Angleterre – la France n’y
verra pas d’inconvénient – sera le premier Etat à reconnaître l’indépendance de
la Flandre quand celle-ci sera proclamée.
En
ce qui concerne l’avenir de Bruxelles et de la Wallonie, la vision de François
Perin n’a jamais changé : Bruxelles
est une ville internationale. Point. (…) Et la Wallonie en France !
A
méditer à la veille des élections législatives et régionales du 26 mai
prochain…
(1)
Auteur notamment de « François Perin – Biographie », Editions Le Cri,
2015.
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